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[Science ouverte] Les belles histoires de la science ouverte

Le site Ouvrirlascience.fr continue en partenariat avec The Conversation France la série « Les belles histoires de la science ouverte ».

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Information juridique : pourquoi est-il essentiel de pouvoir y accéder librement ?

Christophe Dubois, Université de Liège et Zorana Rosic, Université de Namur

Si les arrêts et jugements rendus par les cours et tribunaux belges avaient dû être publiés en ligne dans une banque de données accessible à tous dès septembre 2020, l’entrée en vigueur de cette réforme vient d’être retardée de deux ans. Une évolution pourtant cruciale pour la Justice belge, souvent critiquée et jugée parfois à tort trop complexe, trop lente, trop inefficace et trop peu accessible. En France, l’accès numérique aux décisions de justice n’est pas encore une réalité. Mais un pas décisif vient d’être franchi puisque les conditions de publication en open data des décisions des juridictions administratives et judiciaire sont désormais précisées.

Alors que les organisations belges se sont très largement tournées vers les outils numériques pour continuer de fonctionner durant la pandémie du Covid-19, le monde judiciaire a fait exception.

Une importante fracture interne au champ judiciaire a été révélée par l’Affaire Dutroux il y a plus de 20 ans. Elle concerne les tensions internes à l’appareil judiciaire et policier ainsi qu’avec le gouvernement, la presse et les associations d’aide aux victimes. Cette fracture interne est désormais doublée d’une fracture numérique, poussant les citoyens belges à s’éloigner de la Justice, apparaissant comme « inadaptée et inintelligible ».

La justice et le savoir juridique, des biens communs

Dans un monde juridique qui change, le citoyen numérique constate qu’il faut souvent payer pour accéder à une information juridique : législation, jurisprudence ou doctrine. Or le savoir et la justice constituent des biens publics, notion définie dès le droit romain comme les choses qui appartiennent au peuple et dont l’usage est commun à tous. La justice est en outre un bien commun et un principe fondateur de la démocratie. Par conséquent, son accès doit être libre, gratuit, garanti, permanent et fiable.

Ouvrir l’accès à l’information juridique s’impose d’autant plus que les sources juridiques sont disparates et dispersées, et dès que l’on considère les conditions de travail des acteurs judiciaires. L’ouverture des informations juridiques aiderait les professionnels du droit dans leurs missions en leur offrant une base de données fiable, complète, intégrée, actualisée… et gratuite ! Car l’accès à la législation, à la jurisprudence et à la doctrine doit être garanti par les pouvoirs publics et non par des entreprises commerciales privées. Actuellement, quelques grandes maisons d’édition détiennent les clés de cet accès, qui reste très fermé. Et c’est le cas depuis le XIXᵉ siècle.

Souhaiter l’ouverture du droit semble frappé de bon sens, surtout à l’heure du mouvement de l’« open ». Mais ici encore, si les initiatives d’ouverture se multiplient, notamment dans les secteurs scientifiques et éducatifs, la Justice belge reste frileuse. Quelques signes encourageants méritent pourtant d’être soulignés.

Des sources dispersées dans un marché concentré

Depuis quelques années, les maisons d’édition juridique misent sur la digitalisation comme axe d’innovation et de communication stratégiques, annonçant régulièrement de nouveaux services basés sur l’intelligence artificielle. Mais si l’accès électronique aux contenus dispersés dans près de 400 revues est désormais possible, son prix important a pour conséquence que seules sont capables d’y accéder quelques grandes firmes d’avocats et les bibliothèques universitaires et judiciaires.

Mais même pour ces clients, les modalités d’accès et d’usage sont limitées. Elles s’appuient sur l’interdiction juridique d’envoyer le contenu à un destinataire externe depuis l’université ou le bureau, sur une consultation limitée à l’écran (screen only), sur l’obligation de passer par l’intranet, ou encore par les murs de l’organisation abonnée. Ces modalités peu pratiques sont déterminées par la régulation marchande et la situation oligopolistique. En effet, deux grands groupes se partagent l’essentiel de ce marché, à savoir les groupes Larcier et Wolters Kluwer, avec des chiffres d’affaires cumulés qui s’élevaient à plus de 106 millions d’euros en 2019.

Une lueur d’espoir toutefois : la doctrine, instrument permettant aux acteurs juridiques de suivre l’impact de certaines législations et décisions judiciaires sur la société, échappe peu à peu au pay wall. En Belgique, un décret de 2018 permet un accès libre aux publications scientifiques signées par des auteurs ayant bénéficié, ne fût-ce qu’en partie, d’un financement public de la Communauté française de Belgique. Parmi ces auteurs, nombreux sont les chercheurs et enseignants travaillant au sein d’une Université ou d’une Haute École belge francophone.

A contrario, l’accès à la législation passe toujours majoritairement par le format « papier ». Le service public fédéral de Justice offre bien des accès numériques, mais les limites actuelles de ces outils (dispersion des sites, ergonomie datée, mises à jour aléatoires, etc.) poussent l’utilisateur à s’en remettre aux offres des éditeurs privés, plus performantes et payantes.

De même pour la jurisprudence : les juridictions ne possèdent pas de base de données unique garantissant un accès permanent, gratuit et fiable à l’ensemble des décisions des cours et tribunaux. Ceci est paradoxal dans la mesure où, en tant que producteurs de ces données, ils doivent eux aussi passer par des éditeurs privés pour accéder à des sources plus complètes.

La récente révision de l’art. 149 de la Constitution concernant la publicité des jugements et des arrêts témoigne, depuis mai 2019, de la volonté – voire de la nécessité – d’un accès complet et actualisé à la jurisprudence au profit des citoyens. En Belgique, le tournant annoncé peut s’appuyer sur l’expérience des hautes juridictions belges, comme nous allons le voir.

Quand l’exemple vient d’en haut : le Conseil d’État belge ouvre ses arrêts

Pour poser un diagnostic sur l’état d’un droit national, il peut s’avérer utile de se pencher sur la pratique de ses plus hautes juridictions. En Belgique comme en France, les pratiques diffèrent en effet au Conseil d’État, à la Cour Constitutionnelle et à la Cour de cassation.

Le Conseil d’État a procédé, dès la fin des années 1990, à la publication systématique, via son site Internet, de tous les arrêts rendus par la Section du Contentieux administratif. Deux bases de données sont disponibles : RefLex, qui centralise une grande quantité d’informations juridiques (documents parlementaires, lois, traités et une partie de la jurisprudence), et juriDict, qui donne accès à une sélection raisonnée et structurée des arrêts présentant une valeur juridique importante. Depuis peu, les avis rendus par la Section de Législation sont eux aussi accessibles en ligne. Le système mis en place permet à chaque citoyen d’effectuer des recherches gratuitement.

L’exemple du Conseil d’État démontre que la publication à la source, ouverte, complète et continue de décisions et d’avis, sans filtre artificiel, est possible. Celle-ci, en offrant aux usagers un accès à l’intégralité des arrêts, leur permet d’effectuer une recherche presque exhaustive – sans possibilité de traduction instantanée cependant – laquelle nourrit l’argumentaire juridique mis en œuvre dans le cadre des recours portés devant la haute Cour administrative.

Cet exemple n’est pas isolé puisque la Cour Constitutionnelle et la Cour de cassation publient aussi leur jurisprudence de manière ouverte, complète et continue depuis 1989 et 1990. Toutefois, ces trois régimes de publication de la jurisprudence sont autonomes et indépendants, ce qui renforce la décentralisation et l’émiettement de l’accès au droit, ainsi que la disparité de cet accès selon les matières et les juridictions. La pérennité technologique de ces outils pose également question, car ils dépendent de solutions et de langages propriétaires dont les versions se renouvellent régulièrement, entraînant des problèmes de compatibilité, de dépendances et de coûts.

Certains observateurs supposent que le travail juridiquement technique et peu casuistique des cours suprêmes s’accommode bien d’un partage total de leurs décisions. Mais d’autres s’étonnent et regrettent que les juridictions inférieures ne disposent pas de dispositifs légaux réglant la publication de leurs décisions, ni des outils informatiques leur permettant de mettre en ligne, systématiquement, gratuitement et rapidement leur jurisprudence.

Cette absence de dispositifs légaux et technologiques ne peut plus être ignorée. Les professionnels du droit en font désormais l’expérience : les outils numériques garantissent une activité continue. Chargés d’assurer l’accès égal de tous les citoyens au droit, ils ne sont pas encore rendus capables d’effectuer, à partir de leurs ordinateurs portables, des recherches dans des banques de données accessibles, complètes et actualisées. Ils savent pourtant que l’ouverture timide mais inéluctable qui est traitée ici constitue une avancée démocratique. Cette prise de conscience a gagné la société civile, où des solutions concrètes émergent librement.



Christophe Dubois
, Professeur de Sociologie, Université de Liège et Zorana Rosic, Teaching assistant and researcher, Université de NamurCet article fait partie de la série « Les belles histoires de la science ouverte » publiée avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.

Pour en savoir plus, visitez le site Ouvrirlascience.fr.The Conversation

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